Phil, l'escapade africaine

Messica - la douceur du Mozambique

10/05/2016

Pédalant mécaniquement, j'avance le visage fermé, séquelle de 3 semaines d'arrêt carcéral forcé dans cette cathédrale grise, moche et austère de Mutare. L'isolement et le peu de mots prononcés m'ont profondément transformé, comme laminé l'esprit... Au passage de la frontière du Mozambique, je ressens un sentiment bizarre d'abandon des campagnes, les cases de terre brisées se mêlant aux ruines d'antiques constructions coloniales. Puis le mouvement apparaît progressivement: avec leurs lourds fardeaux de bois posés sur la tête, les femmes déambulent sur les chemins; les mobylettes, signe d'un mode de vie plus modeste, pétaradent en coeur en bord de route; les vélos, chargés au maximum, défilent lentement vers le lointain... Le paysage et les écoles sponsorisées par Coca Cola du Zimbabwe laissent place au rouge des boutiques peintes au sigle de Vodacom, la compagnie téléphonique la plus en vogue. A Manica, non loin d'une petite place verte apprêtée et coquette "à la portugaise", je me fige dans un "take away" tenu par des somaliens. Leur riz-viande est tendre et savoureux. Dans un coin de la salle, pendant que j'observe le défilé de la rue empreint de différentes cultures, un des employés passe des sourates en boucle sur son portable. Ça doit être mes premiers musulmans depuis l'Angola, je crois... Au moment de payer, un monsieur m'aborde pour me saluer. Il me fixe de ses yeux d'un marron clair qui me perturbe... J'observe avec joie une toute autre réalité, pleine de couleurs inattendues, de types de visages inconnus, d'un certain métissage charmant et souvent surprenant, de jolies femmes élancées aux pagnes élégants...  Je me remets en selle les batteries chargées d'une énergie fluide, limpide. Alors que les nuages se dissipent pour laisser place au soleil, mon portugais renaît peu à peu de ses cendres. Aussi, les sempiternelles questions polies du Zimbabwe s'évanouissent au profit de rapports simples, cool et naturels. Ça me repose... et ajoute un degré à la saveur de ma liberté. Au rythme d'un "Drop Kick" de Steve Coleman que je réimprovise en profondeur depuis c'matin, mon sourire s'épanouit enfin... Dans un grand jardin qui intrigue mon regard curieux, quelques hommes attablés m'interpellent pour que je me joigne à eux. Demi-tour. Les 3 professeurs me serrent 10 fois la pince pour que je me sente à l'aise, la main douce, presque caressante, apaisante. Ils finissent par m'offrir quelques rasades de whisky en guise de bienvenue au Mozambique. Et malgré l'insistance de l'un d'entre eux, bien éméché, à m'inviter chez lui quelques kilomètres en arrière, je plante la toile derrière le bistrot isolé de la tenancière, emportée par un délire à peine alcoolisé.