Phil, l'escapade africaine

Diego Suarez - 6 jours de pistes à zébus

27/12/2016

A l'ombre d'un grand arbre noueux, assailli par les bourrasques de poussière collante, je sors mon réchaud des sacoches pour le petit déj'. Cette nuit, le vent s'est levé. Le genre de souffle façon courant d'air islandais, prêt à te décorner un troupeau d'zébus malgaches trop placides, rien que pour les emmerder. Tiens, parlons-en des zébus, ces troupeaux vagabonds qui me barrent souvent le passage. Parfois, ils déboulent en attelage, furieusement, les têtes attachées de front, par 4, « pilotés » par des gosses aux coiffures en crête qui claquent du fouet et hurlent sauvagement tels des hard-métalleux nerveux du fin fond de la Finlande. Les chars en bois dérapent dans la poussière d'argile, transformant l'atmosphère en un truc irrespirable. Welcome quelque part entre Ben-Hur et l'Moyen Age, mec ! A leur âge, gnian-gnian, je jouais encore à 4 pattes aux p'tites voitures sur un tapis moelleux... Et maintenant, espèce de faiblard, me voici sur cette foutue piste, poussant ma monture chargée à bloc, cloué sur place dans une montée trop raide, déjà à bout d'force dès le matin. Les mains crispées sur les freins pour ne pas que mon chargement se fasse la malle vers l'arrière, rien à faire ! Impossible de hisser tout c'barda là-haut, sur cette nouvelle bute dont je n'aperçois même pas l'issue. Soudain, à grand fracas, 3 de ces tribus punkoïdes dévalent le raidillon devant moi. L'un des costauds m'aide à tout pousser vers le sommet. Normal, ici c'est simple, ‘faut juste s'entraider... En 6 jours de progression millimétrique sur cette piste de brousse rustique, le décor m'a bien testé, me réservant surprises sur challenges : la vase collante des marigots bien profonds, la montagne brute trop abrupte, les chemins jonchés de sales grosses pierres volcaniques, les nappes de lave séchées à escalader par paliers, les passages de rivière casse-gueule mais rafraîchissants... Puis, du côté des Tsingy acérées de l'Ankarana et de la jolie Montagne d'Ambre, ‘faut pas bouder son plaisir : tout ici n'est que sentiers-déviations pour cyclistes en manque de zigzags tortueux. Choisis toi-même ton aventure... Aujourd'hui, j'ai cliqué sur western, salines turquoises, ondulations rousses, oranges, et quelques trajectoires berbères, aux creux des monts multicolores, façon Atlas marocain. Euphorique, j'arrive à Diego Suarez par la décharge en feu, les yeux fermés, accueilli par une rafale de face plus forte que les précédentes. Alors que je disparais dans la poussière, juste devant moi, quelques fous furieux lancent une dernière course de chars. A 3 de face, fais pas ton têtu, dégage de la route là, mon bon Phil... Plus loin, au milieu de l'agitation molle des tuk-tuk jaunes vifs du centre, je me poste derrière ce motard au t-shirt rouge gonflé par le vent. Il est écrit « taste the experience ». Merci, ‘suis pas idiot, j'avais déjà compris...