Phil, l'escapade africaine

Tandanani - la lueur de la bougie

22/03/2016

Au sud de Bulawayo, j'évite finalement la réserve des Matopos, sa bande goudronnée payante de 30 kilomètres, ses 2 gravures, et sa tombe mémorial pour touristes. Je préfère m'engager sur la piste de sable damée par les pluies qui longe le parc, plus aventureuse, plus villageoise, bien collines et parsemée de blocs granitiques que l'on croirait tombés du ciel. J'y passe 2 jours et demi, dormant au gré de mes coups d'pédales, dans les cases de terre des chefs de village. En cette saison des pluies, la rivière que je dois traverser s'annonce trop gorgée d'eau, m'obligeant à une journée de pédalage de plus. Un villageois m'indique la piste à prendre pour m'orienter dans la bonne direction mais, sous un fin crachin, les "no left, no right, only straight!" se transforment rapidement en quelques bifurcations hasardeuses en plein bush. Perdu au milieu d'nulle part, je rencontre ce jeune cycliste qui rebrousse chemin rien que pour moi. Avec son VTT sans freins, il m'accompagne en plein déluge sur cette piste défoncée en totale descente. Suivant le torrent de boue qui dévale avec nous, je pose mes roues dans sa trace, évitant pierres, trous, et ornières glissantes. J'observe la pluie qui perle sur son visage, alors que moi, j'absorbe tout ce liquide comme une vieille éponge, les mains bleues, le corps transi de froid. La police nous renvoie vers le chef du village suivant... Ici, tout respire le goût de la lueur de la bougie. Dans cette case ronde envahie de fumée qui me pique aux yeux, la casserole d'eau chaude trône au milieu du feu, bientôt remplacée par celle de sadza, cette polenta bourrative façon africaine. La maman y agite une grosse cuillère en bois. Le repas de ce soir possède du caractère, à l'image de la matriarche qui me pose des tas de questions sur ma vie et mon voyage, n'hésitant pas à me donner des conseils. La manche de mon sweat transformée en mouchoir dégoulinant, le nez qui goûte dans l'assiette, je bois littéralement ses paroles de grande sage africaine. Les regards deviennent forts, directs et francs. Puis, d'une voix intense propulsée vers l'avant, elle qualifie mon périple en une sentence, comme s'il ne pouvait en être différemment: "You are physical, mental, social... you must be also spiritual!" Voilà... encore une qui a dû trouver en moi ce "côté Twin Peaks"... Blague à part, je ne sais pas pourquoi ses paroles résonnent encore dans ma caboche. Sans doute cette écriture à laquelle je consacre une grande partie de mon aventure, sans doute la volonté de cette dame de me marquer. Brûlé à vif par cette atmosphère qui me donne le sentiment d'être loin là-bas dans la montagne, enveloppé dans des couvertures velues et douces, cette odeur d'urine qu'elles diffusent, détail ridicule dont se foutent éperdument les gens de la campagne, finit par me bercer d'un sommeil profond. Jusqu'à ce réveil qui me projette au Maroc...