Phil, l'escapade africaine

Dxamokwae - Victor le berger

28/02/2016

Bourgade carrefour nord-sud, je pense bien atteindre Nata ce soir. Mais la longue ligne droite semble une fois de plus me réserver une drôle de surprise: un mur de pluie se dresse au beau milieu d'la route, bouchant l'horizon et ruinant mes plans d'avancée. En bord de route, plusieurs cases qui s'écroulent vers lesquelles je me dirige. J'y fais la connaissance d'un vieux couple, de ces vieux couples qui vous touchent, marqués dans leurs traits par toute une existence à la campagne. Victor, personnage au caractère bien trempé, et sa femme, regard fixe et profond, une cigarette roulée dans une feuille de papier au coin des lèvres. Ceux-ci ne sont pas du genre à s'faire de cadeaux: une fois le dos de l'autre tourné, ils se traitent d'idiots, s'insultent mutuellement... Les chiens et chats de la parcelle essuient eux aussi les foudres de Victor. Dans ses excès, notre homme leurs jette à la tête quelques gros bidons vides, les visant, précis, ce qui finit par m'amuser bêtement plutôt que de m'apitoyer. Crescendo, il les injure copieusement de "porco dio", vague lointain souvenir d'un boss italien passé par là pour la construction du goudron. Puis Victor me demande 2 ou 3 pièces pour s'acheter un peu d'tabac et le vieux couple s'évapore, me laissant face à mes menues nouilles chinoises. Le feu crépite toujours quand le personnage réapparaît, avec en main un morceau de viande crue emballé dans un journal chiffonné. "J'ai fait 3 kilomètres" me dit-il, à bout d'souffle. Au petit matin, titubant, Victor m'emmène vers l'enclos de ses chèvres. Il empoigne l'un des pis gonflés de l'une d'elles pendant que toutes les autres s'échappent dans les buissons épineux. Au coin du feu, les piles de la radio rechargent. Et Victor s'active de gestes précis pour me tendre un savoureux thé au lait frais bourré d'caractère, ne cessant d'affirmer, tout fier : "goat milk, it's number one!"