Phil, l'escapade africaine

Mocuba - les balles qui sifflent

21/05/2016

Tout commence en pleine nuit, à une heure du mat, avec ces 8 kilomètres vélo à la frontale dans les rues aux éclairages éclatés de Beira. A la station de bus, le départ est annoncé à 3 heures, ça roupille sec... Mais cette fois, je préfère être à l'avance. Hier,  j'ai rien compris, mon réveil n'a pas sonné... Au moment de partir, de mauvaise humeur, le chauffeur refuse de m'aider et, tout court, d'embarquer mon vélo dans la soute pleine du bus. Le salopard me laisse en plan... Pourtant, en ouvrant un des coffres, je constate que l'un d'entre eux est totalement vide et que, une roue démontée, mon cadre finit par rentrer. Tiens, voilà que j'arrache le câble de compteur, dans l'empressement. Lancé comme un train fantôme à toute blinde dans l'obscurité, ce bus en fin d'vie rebondit comme un trampoline sur la route défoncée. Sous la furie du conducteur, l'amortisseur arrière foutu hurle son effroi en grincements, et le pneu heurte la carlingue à chaque nid d'autruche. Et je ne parle pas des fenêtres qui coulissent sans cesse, me laissant en plein courant d'air glacé. Je ne donne pas cher de mon pauvre vélo, seul dans la soute, sans arrimage, et sans aucune protection. Au lever du jour, l'engin en fuite s'immobilise enfin: le transfert vers l'autre bus s'organise. Seul, je tente péniblement d'extirper ma monture de la soute. Je dépose chaque sacoche dans la grande rigole où les vendeurs ambulants se bousculent. J'ouvre une des soutes du nouveau bus puis la referme aussitôt... Mais dans l'mouvement et la précipitation, le métal heurte le crâne d'un des types à côté d'moi. Que faire? Il est bien ouvert: ça commence à bien pisser l'sang... Un gentil monsieur élégant vêtu d'une djellaba, sourire rassurant, me fait signe de passer de l'autre côté du bus. Et en 5 minutes, tout mon matos est embarqué, sans énervement ou presque. Confus, je sors mon spray pour désinfecter le crâne du pauvre homme, bien amoché. Quelques minutes plus tard, le bus se retrouve dans un convoi militaire, doublant à toute vitesse tous les gros camions, comme dans un véritable Mad Max. Nous voici donc en pleine zone critique, la zone que l'on m'a conseillé de ne pas traverser à vélo, de peur de subir les tirs des rebels militaires qui font pression sur le gouvernement. Le convoi fantoche s'immobilise sur un pont, cible parfaite pour un groupe armé. Sans stress, je fais comme tout l'monde et sors pour l'arrêt pipi, sous les applaudissements et les rires d'un groupe de policiers. Puis le convoi s'évapore pendant que je continue à draguer ma jolie voisine. Tout à coup, les vitres du bus volent en éclats. Ma voisine me pousse au sol, dans le couloir central jonché de bouts d'verre. Alors que le bus zigzague sur le bitume, le chauffeur finit par maîtriser la situation, enfonçant l'accélérateur. Surtout ne pas s'arrêter... Le bus est criblé de balles. "Un SMG... (small machine gun)" me dit mon voisin. Pendant que tous les passagers restent cloués au sol, on s'occupe d'une dame touchée au ventre qui saigne abondamment. Le prochain hôpital est encore loin. Ce jour là, 3 bus seront pris pour cible par les rebels. A chaque fois, les militaires visaient les chauffeurs dont l'un d'entre eux, t-shirt déchiré, a été égratigné par une balle. A l'hôpital, on évacue les blessés des 3 bus qui arrivent au compte-gouttes dans la cour. Comme tous les africains autour de moi, je ne dramatise en rien... même si, quand le bus redémarre, on constate qu'une balle s'est plantée dans l'dossier de siège de ma jolie voisine, à 20 centimètres de sa tête. On ne m'avait pas dit que les bus qui traversent la région sont régulièrement pris pour cible, en particulier cette compagnie tanzanienne. Quelques mois plus tôt, tout un bus de militaires avait été froidement abattu en plein bush. Plus loin, une autre zone chaude reste à franchir en pleine nuit. A l'extérieur, quelques personnes s'en mêlent, nous conseillant vivement de ne pas tenter la traversée à cette heure-ci. Sage décision, notre chauffeur gare son bus dans la cour du snack de la bourgade, où nous serons accueillis pour la nuit.