Après bien des générosités du patron du Beira-Mar qui m'offre toutes mes conso de la journée et mon repas du soir, c'est devant un plat de coquillages que je fais la connaissance de Nuno. Il vit à Lubango, en haut de la montagne, où je dois justement retourner pour me rendre en Namibie...
J'ai toujours été aimanté par ces routes en cul-de-sac. Que vais-je encore trouver au bout? Tombua. Juste le désert du Namib qui commence, côté Angola, pour se prolonger tout au sud, sur une bonne partie de la côte namibienne. Je m'élance sur cette route droite, vaporeuse, vaste plaine de caillasse ressemblant au Sahara Occidental...
Après les longues lignes droites grisantes à toute allure d'hier et la descente de 20 kilomètres de la Leba, je me retrouve dans la plaine désertique qui mène à l'océan. Tout s'étiole...
Ils ont réussi à mettre de mauvais poil ces jeunes portugais venus enseigner chez les catholiques. "Tu as dû voir beaucoup de pauvreté dans ton voyage?" me demande-t-ils d'emblée, accrochés à leur ordi. "Non, ce n'est pas ce qui m'a marqué..."
Même pas 5 heures du mat que la vieille se pointe déjà pour la corvée eau, parlant à haute voix juste à côté de ma toile. Clair qu'elle est juste venue pour voir le blanc qui sort de son sommeil. Après mes 101 kilomètres d'hier, sa voix m'empêche de dormir plus. En dézippant, je constate que les termites ont oeuvré pendant la nuit, juste à côté de ma tête...
Malgré ces morceaux de PQ poussés le plus loin possible vers mes tympans, je n'ai quasi pas dormi d'la nuit. Saloperie de groupe électrogène... Le café ne produit aucuns effets, je suis lessivé. 600 mètres plus loin, une autre surprise m'attend: le goudron s'efface au profit de la piste dont je n'ai pas encore vu la couleur depuis le passage de la frontière...
Triste à mort... J'erre, le regard rivé au sol, pédalage sans importance. J'adresse la parole à personne. Pire, j'en expédie certains, trop insistants. Un motard me dépasse et me traite de fou. Ce matin, un coup de téléphone à Arnaud, mon pote français du Congo, m'a mis la tête à l'envers...
Après l'orage d'hier, les eucalyptus aux feuilles sèches dont l'écorce se torche et s'effiloche dégagent un parfum qui me plaît. Ces forêts faméliques, rendues noires par les villageois qui les transforment en charbon, plongent la région dans une certaine tristesse...
Happé par ce faible courant qui m'aspire vers la montagne, mes 2 roues bifurquent pour un détour improvisé du côté des 2300 mètres. Une grosse pierre ronde pas si loin de la route se met à bouger: indifférente, une tribu de babouins me zieute à peine, préférant sans doute se dorer la pilule au soleil...
Pipino, 93 ans, la légende du cyclisme angolais. Il n'en paraît même pas 70. Le Monsieur a tout gagné. A Benguela, tout est arrangé pour que je le rencontre. Pipino, pour moi, ça restera un peu Flash Gordon: il apparaît, puis disparaît aussitôt, me laissant le souvenir d'une poignée de main vigoureuse et de son vif enthousiasme...